La haine Grosdidier/Masson
L'affaire de trop Par Aurélia SALINAS • Journaliste de La Semaine
Glauque, sordide, pitoyable. Les adjectifs ne manquent pas pour décrire l’affaire qui agite le paysage politique messin. François Grosdidier et Jean-Louis Masson écrivent l’énième chapitre d’un
roman de haine dont ils semblent ne pas se lasser. Personne n’en sortira indemne.
« Soulagé », François Grosdidider ne sera pas candidat à la mairie de Metz en 2014. Sur ce point-là, Jean-Louis Masson a gagné.
Nous sommes en 2008, quelques mois après la victoire de Dominique Gros aux municipales à Metz. Le décor est celui d'une nouvelle élection, celle de la présidence du Scotam (Schéma de cohérence de
l'agglomération messine), syndicat mixte regroupant 11 intercommunalités. François Grosdidier souhaite être candidat. Il se retire finalement sur demande de Jean-Luc Bohl et Dominique Gros, qui
préfèrent y voir Lionel Fournier. Soit, le maire de Woippy sera candidat au poste de premier vice-président. Il trouve face à lui Jean-Louis Masson, vainqueur pour quelques voix. Son plaisir est
immense. Ce n'est pas tant la victoire qui compte mais son adversaire. S'en suit un échange entre les deux, rapporté par François Grosdidier lui-même : « Je lui ai dit : on dirait que tu
viens de gagner une élection de grande envergure. Il m'a répondu : je me fiche de l'élection, je t'ai battu. Je lui ai répondu qu'il était fou. Il m'a dit : de toute façon, je vais
tout faire pour te mettre en prison. Ce à quoi j'ai répliqué : tu finiras dans la Moselle, les deux pieds dans le ciment ». Grosdidier dit parler au second degré, Masson porte plainte.
Quatre ans plus tard, le fond de l'affaire est du même ordre, le niveau toujours aussi bas mais la portée bien plus importante. Toute la presse nationale s'en est fait l'écho, braquant un
projecteur peu flatteur sur le personnel politique lorrain. Jean-Louis Masson et François Grosdidier s'accordent sur ce point. « Les dégâts sont irréversibles. L'opinion publique va penser
que les sénateurs n'ont que cela à faire », souligne le maire de Woippy. Jean-Louis Masson, quant à lui, pointe le doigt sur le fait « qu'il ne faut pas confondre la cause et la
conséquence. Face à ce genre de pratiques, il ne faut pas s'étonner si les gens ont une mauvaise opinion du système politique ». Une nouvelle fois, chacun a son explication qui semble
toujours être la meilleure... ou la pire, selon le point de vue d’où l'on se place.
Cocktail explosif
L'histoire qui lie François Grosdidier, 51 ans, et Jean-Louis Masson, 65 ans, dure depuis 20 ans. Les sentiments entre les deux hommes constituent un cocktail explosif de haine, de
jalousie, de fascination. Chacun accorde cependant certaines qualités à l'autre . « On lui donne le Bon Dieu sans confession, il est meilleur que moi dans le relationnel », reconnaît
Jean-Louis Masson, quand François Grosdidier salue « l'intelligence » de son ennemi. Mais les compliments sont lâchés dans une grimace, du bout des lèvres. C'est dans le rappel des
rancunes passées et présentes que les deux sénateurs sont le plus à l'aise, même si François Grosdidier insiste : « Je ne le hais pas comme il me hait ».
Jean-Louis Masson a stocké dans sa permanence de campagne au Pontiffroy tous les épisodes de cette bataille qui s'est jouée sur les terrains politiques et judiciaires. Comme si c'était hier, il
raconte. Entre les deux, c'est connu, le fusible a fondu lors des municipales de 1989. Masson pointe du doigt la trahison de Grosdidier qui lui reproche a peu près la même chose. La
séduction intellectuelle qui les unissait alors a laissé place à des coups d'éclat permanents. Depuis 20 ans, les plaintes ont été dégainées de part et d'autre.Le polytechnicien, diplômé des
mines n'aurait pas supporté de voir un jeune homme, pas même bachelier, se hisser à ce niveau de l'échiquier politique. Car pour Jean-Louis Masson, la politique est avant tout une histoire de
tactiques et de manœuvres intellectuelles, « un jeu d'esprit », dit-il. Avec François Grosdidier, il a trouvé un partenaire, même si ce dernier se défend de vouloir participer.
« Je pourrais écrire un livre sur tous les coups qu'il ma fait. Il n'a cessé de m'embêter tous les jours ». Jean-Louis Masson conteste le fait de penser à Grosdidier tous les matins en se
rasant mais il avoue trouver du plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. On décèle même une forme de jouissance quand il déclare à propos de la dernière affaire en date : « Cela
m'amuse beaucoup. Quand vous jouez contre une bande de voyous, c'est toujours plus agréable de gagner. Si l'adversaire n'était pas Grosdidier, je n'aurais même pas joué le match ». Dans la
sphère politique, on observe ce tandem avec un mélange de dégoût et d'amusement. De très loin bien sûr. Les élus, de droite comme de gauche, se refusent à commenter officiellement la dernière
affaire en date. Sous le secret de l'anonymat, ils dépeignent deux caractères compliqués. Extraits : « L'un est fou, l'autre est un escroc. Jean-Louis Masson a une forme d'intelligence
machiavélique ». « Le plus violent dans la haine; c'est Masson, le plus intelligent; c'est Masson, le plus malin c'est Grosdidier ». « François Grosdidier n'est pas un enfant
de chœur, mais il a le sens de l'intérêt général ». « Jean-Louis Masson est un serpent froid. Il n'a jamais réussi à se faire aimer, d'où la présence de Marie-Jo Zimmermann à ses côtés,
qui emmagasine une belle cote de sympathie ». « On ne peut pas faire confiance à Jean-Louis Masson. Il tire sur tout ce qui bouge, y compris sur la droite. Tandis que si vous passez un
accord avec François Grosdidier, il y a une chance sur deux pour qu'il le respecte ».
Soulagement
Dans cette guerre sans fin et sans pitié, Jean-Louis Masson vient de délivrer un coup qui, il en est sûr, fera mouche. « Les choses avancent bien » dit-il faisant référence à la
procédure judiciaire en cours. Qu'elle qu'en soit l'issue, il a atteint son objectif : faire en sorte que François Grosdidier ne soit pas candidat aux élections municipales en 2014 à Metz. Pour
sa part, Jean-Louis Masson dit n'avoir jamais songé à cette échéance, sauf si François Grosdidier avait été candidat. « Cela m'aurait énormément plu d'être maire de Metz quand j'avais 35
ans. Ce n'est pas maintenant que je vais tout mettre en route. Si François Grosdidier avait été candidat, j'aurais reconsidéré ma décision. Mais cela ne sera pas d'actualité », anticipe le
sénateur.
L'homme que beaucoup considéraient comme le seul à pouvoir faire gagner la droite ne sera pas dans la course. Il dit ne pas s'en plaindre, parle même « d'un soulagement. De nombreuses
personnes me disaient que je devais y aller. J'aurais eu dû mal à dire non car j'aurais eu l'impression de me défiler. Mais je n'en avais pas l'envie », explique désormais François
Grosdidier. Confiant, il estime que cette procédure judiciaire n'aura pas de retentissement sur ses deux territoires politiques : Woippy et le Sénat. Par contre, il insiste sur le fait que
cette affaire ruine définitivement les tentatives d'union de la droite messine. « Nous donnons la pire image que la droite n'ait jamais connue », regrette François Grosdidier. A qui la
faute ?